
Cinq ans et une éternité

Texte de Stéphane Laporte
La Presse, lundi 17 mars 2025
Ça fait cinq ans, le Grand Confinement. Devrais-je écrire « cinq ans déjà » ou « juste cinq ans » ? Ça nous paraît loin ou encore tout près ? On ne le sait pas trop. Un peu des deux. Cinq ans, c’est vite passé, mais puisque les mois en confinement, durant lesquels tout était fermé, durant lesquels on devait rester enfermé, sans voir personne, nous ont paru durer une éternité, ça fait cinq ans et une éternité, le Grand Confinement.
Nous sommes en 2025 apr. J.-C., mais dans notre tête et dans notre cœur, nous sommes en l’an 5 apr. G.C. L’an 5 après le Grand Confinement. Tous nos souvenirs sont séparés en deux. Il y a ceux d’avant le confinement et ceux d’après le confinement. Le mariage de ma nièce Gabrielle ? Ça, c’était quatre ans avant le confinement. La naissance de sa fille Léonie ? Ça, c’était un peu après le confinement.
Le confinement est l’an zéro de notre ligne du temps collective et personnelle. Une coupure. Une blessure.
Le 23 mars 2020, quand le premier ministre François Legault a annoncé la fermeture de toutes les entreprises et de tous les commerces, il a décrit ainsi la situation : « Le Québec est sur pause. » On a mis notre vie sur pause. Notre mémoire a cessé d’enregistrer. Comme dans l’annonce de Vidéotron où l’on voit le père mettre ses enfants sur arrêt avec la télécommande, le gouvernement a interrompu notre action. On ne bouge plus, les enfants !
Jusqu’en mars 2020, on ne pensait pas que ça pouvait se faire, tout arrêter durant des semaines. On pensait que seule une tempête de neige pouvait réussir ça, durant 24 heures.
Quand le gouvernement a réalisé que sa télécommande avait ce pouvoir, il s’en est servi à fond. Le 25 juin 2020, le gouvernement pèse sur Play : déconfinement général. On revit. Le 16 décembre 2020, le gouvernement appuie, à nouveau, sur Pause : deuxième confinement. On gèle. Le 28 juin 2021, le gouvernement pitonne sur Play : toutes les régions du Québec passent au palier vert. On se remet en marche. Le 31 décembre 2021, le gouvernement pèse sur Ralenti : c’est l’instauration du couvre-feu à 22 h. On fonctionne lentement. Le 1er juin 2022, le gouvernement range la télécommande, c’est le retour à la normale, la fin de l’état d’urgence sanitaire. On rattrape le temps perdu.
Tout ça a eu pour effet de faire en sorte qu’entre mars 2020 et juin 2022, nous avons des souvenirs diffus. Ce ne sont pas des séquences en continu. Ce sont des arrêts sur image. Quelques photos de nous où l’on ne voit que le haut des visages.
Comment on commémore ça, cinq ans de confinement ? En faisant un revival ? Le gouvernement instaure un confinement national de 48 heures. Tout est fermé. On n’a pas le droit de sortir de chez nous. On célèbre ça avec le festival du Zoom. Toute la nation trinque à la mémoire des victimes et à la chance des survivants, dans 9 millions de petites cases.
On organise un grand spectacle avec les artistes qui nous ont si bien divertis durant ces mois difficiles : Damien Robitaille, Arnaud Soly, Mathieu Dufour, Guylaine Tanguay, Angèle Dubeau et compagnie. Chaque spectateur devant garder deux mètres de distance avec son voisin.
On mange des tartelettes portugaises en regardant en rafale tous les points de presse de 13 h. On met en branle un grand défilé avec tous les chiens qui nous ont permis d’enfreindre le couvre-feu, les gens lançant de leurs fenêtres des rouleaux de papier de toilette qu’ils ont encore en trop. On forme une grande chaîne humaine dans laquelle personne ne se donne la main.
Les restaurants demandent à leurs clients d’apporter leur propre pain, leur café Dalgona et leur gâteau aux bananes. Cinquante mille personnes se réunissent au parc Jean-Drapeau pour faire le plus grand puzzle de l’histoire. On se fait tous tatouer une fleur de lis à l’endroit où on a été vacciné.
Ce sont de bonnes idées, mais il semble bien que l’on va commémorer le cinquième anniversaire du confinement de la façon la plus logique qui soit : en ne faisant rien.
Sans être nostalgique de cette période dramatique, il nous arrive d’y repenser avec une certaine envie : chaque fois que l’on est pris dans le trafic, chaque fois que l’on serre une main moite, chaque fois que quelqu’un éternue dans notre face.
Espérons qu’on n’aura jamais à regretter les semaines où notre frontière avec les États-Unis était fermée. On était certains de ne pas être envahis.
Cinq ans après la COVID, tout ce que l’on retient de 2020, c’est la COVID. Elle a écrasé tous nos souvenirs. Elle nous a même fait oublier le premier mandat de Donald Trump. Quelque chose me dit qu’on n’oubliera pas le second. Et j’ai bien peur que dans cinq ans, on ne se souvienne d’aujourd’hui que de ça : le Trump virus.
Ce qu’il importe de se rappeler, en ce cinquième anniversaire du déclenchement de la pandémie, c’est que face au pire, on est capables de s’en sortir.
Et n’oublions pas, bien sûr, les 20 000 Québécoises et Québécoises qui ont perdu la vie. Hommage à elles et eux. Et hommage à tout le personnel des hôpitaux, grâce à qui il n’y a pas eu davantage de victimes.
La leçon à retenir : il n’y a qu’une seule façon de passer à travers une crise, c’est en se tenant ensemble. Parfois à deux mètres de distance physiquement, mais toujours en se serrant les coudes, solidairement.
Bonne journée ! Et bonne liberté, en ce dimanche de mars de l’an 5 après G.C. Vous pouvez faire ce que vous voulez.
